A unique work of art, Variations Volodine sets Antoine Volodine’s prose poems with musical compositions by Denis Frajerman. The two artists, linked for over twenty years by the same passion for language and sound, accompany each other masterfully. The prophetic, incantatory pen of the writer on one side, the melodic spells of the musician-traveler on the other side, all this highlights the post-exotic universe within a poetic setting.

This box set includes six albums by Denis Frajerman, as well as unpublished prose poems by Antoine Volodine. The whole is a labyrinth in which one loses oneself, all the senses open to euphoria, hypnotized by the voices, including sometimes that of the writer himself, which will be both an excellent introduction for people who have not read the texts of one of the greatest living French writers, and for “Volodinian” amateurs who have not had the chance to attend the Frajerman/Volodine performances in a few Parisian venues.

Book + 6 CDs
https://lavolte.net/livres/variations-volodine/

David Fenech plays electric guitar on one track. We also find Hervé Zénouda, Barbéri Jacques, Justine Schaeffer, Daniel Palomo Vinuesa, Laurent Rochelle, Stefano Cavazzini, Carole Deville and many other excellent musicians.

Cover art by Laure Afchain
Release date: January 20, 2022

CD1 – Quatre poèmes en prose (1994)

Antoine Volodine: voice
Denis Frajerman: electroacoustic tapes, keyboards, mesmeresing, tapes
Regis Codur: guitar
Eric Roger: trumpet, cornet
Jacques Barberi: alto saxophone
Emmanuelle Franz: violin
Aurore Pingard: cello
Hervé Zenouda: zarb
Aline Lebert: voice

Recorded and mixed by Denis Frajerman, studio Nautilus, in 8 analog tracks.

CD2 – Les Suites Volodine (1998)

Jacques Barbéri: alto saxophone
Sandrine Bonnet: percussions, voice
Regis Codur: guitar
Denis Frajerman: bass guitar, keyboards, percussions electro acoustic tapes, tapes
Marc Resconi : trombone
Eric Roger : cornet
Hervé Zénouda : percussions

CD3 – Des anges mineurs. Oratorio post-exotique (2000)

Jacques Barbéri : alto saxophone
Carole Deville : Cello
David Fenech : guitar
Denis Frajermnan : percussions, electric bass, keyboards, electroacoustic tapes
Helene Frissung : violin
Daniel Palomo-Vinuesa : baryton saxophone
Laurent Rochelle : bass clarinet
Antoine Volodine: voice

CD4 – Vociférations – Cantopera (2004)

Jacques Barbéri: alto saxophone
Stephano Cavazzini : drums
Carole Deville : cello
Denis Frajerman : keyboards, electroacoustic tapes, rhythms
Hélène Frissung : violin
Fanny Kobus : viola
Lise N : mesmerising
Géraldine Ros : vocals
Antoine Volodine : voice

CD5 – Terminus radieux. Cantopera (2015)

Carole Deville : cello
Denis Frajerman : guitars
Emilie Nicot : mezzo soprano
Justine Schaeffer : mezzo soprano and voice

CD6 – Les fugues Volodine (2020)

Anja Frajerman : keyboards
Denis Frajerman : keyboards, bass, percussions, Rbox, flutes, birdcalls, electroacoustic tapes.
Laurent Rochelle : soprano saxophone, bass clarinet, arrangement
Marc Sarrazy : gongs

La Volte, éditeur entre autres d’Alain Damasio et Sabrina Calvo, publie un coffret de 6 CD de Denis Frajerman autour de l’œuvre du romancier Antoine Volodine, accompagnés d’un petit fascicule. En outre un code permet de télécharger l’ensemble des 6 albums si on souhaite en profiter dématérialisé (sauf que cela ne marchait pas quand j’ai essayé).
Chronologiquement tout commence avec Quatre poèmes en prose d’Antoine Volodine enregistrés en 1994 pour France Culture. Treize minutes où l’auteur est accompagné par Frajerman (bandes, claviers), Régis Codur (gt), Eric Roger (tpt), Jacques Barbéri (sax a), Emmanuelle Franz (vl), Aurore Pingard (vlc), Hervé Zénouda (zarb), Aline Lebert (voix), musique de scène radiophonique où percussions mélodiques et petite fanfare soutiennent les roulements d’r de l’auteur féérisant.

Quatre ans plus tard, sur fond de bestiaire et d’ambiances forestières dignes de Brocéliandre, les Suites Volodine produisent des rythmes incantatoires, terme que j’ai souvent utilisé pour la musique de Frajerman, timbres rappelant le groupe Third Ear Band ou certains disques d’exotica. À Frajerman, Codur, Barbéri, Roger et Zénouda se joignent Sandrine Bonnet (perc, voix) et Marc Resconi (tb) pour cette heure purement instrumentale.

An 2000, Des anges mineurs, oratorio post-exotique, à peu près même durée, convoque le récitant, cette fois sans roulements ajoutés, mais l’orchestre constitué de Frajerman , Barbéri plus Carole Deville (vlc), David Fenech (gt), Hélène Frissung (vl), Daniel Palomo-Vinuesa (sax bar) et Laurent Rochelle (cl bs) s’impose, boucles répétitives où s’accrochent les sons animaliers des instruments. L’ombre de Moondog plane sur ce minimalisme dont l’ambiance s’inspire évidemment des textes de Volodine.

Encore quatre ans plus tard, nouvelle production France Culture, Vociférations cantopéra avec Volodine, Barbéri, Frissung, Deville, Palomo-Vinuesa auxquels Frajerman ajoute Stephano Cavazzini (batterie), Keny 2 (sampler), Fanny Kobus (va), Lise N (murmures), Géraldine Ros (chant). Plus électro, plus fantômatique, entraînant, les boucles parfois de différentes longueurs se désynchronisent pour créer la meute. Volodine est envoutant, la poésie circonlocutoire inspire l’abstraction musicale, leur cousinage profite à l’une comme à l’autre…

En 2015, la petite famille s’est dispersée. Pour Terminus radieux, cantopéra, dont le texte a valu le Prix Medicis à l’auteur, Denis Frajerman joue des guitares avec la violoncelliste Carole Deville et deux mezzo-sopranos, Émilie Nicot et Justine Schaeffer qui dit ce texte plus descriptif comme une Madame Loyal, plus difficile à suivre aussi, malgré l’accompagnement, entre évocation médiévale et néoclassicisme minimaliste à la Philip Glass, sorte d’heroic fantasy que Volodine appelle post-exotisme.

En 2020, sur Les fugues Volodine Frajerman retrouve son ambient ensorceleuse qui manquait au précédent. Il multiplie les instruments tandis qu’Anja Frajerman est aux claviers et que Laurent Rochelle joue des anches et assure les arrangements. Des extraits sonores nous plongent dans un passé cosmopolite. Plus d’ordinateur, ni échantillonneur, ni séquenceur pour cette évocation instrumentale qui clôt cette saga opératique.

J’ai tout écouté dans la foulée, deux journées, ce n’est pas Bayreuth, mais ça se tient, du début à la fin !

Jean-Jacques Birgé – Jan 17 2022 (link)

Ancien membre du groupe expérimental français PALO ALTO, le compositeur et musicien Denis FRAJERMAN est l’auteur d’une prolifique carrière soliste dont une bonne partie est inspirée par l’œuvre du romancier Antoine VOLODINE. Son tout premier CD avait du reste pour titre les Suites Volodine (1998). En 2004, il y a eu aussi Vociférations, Cantopéra, avec la participation de VOLODINE en personne. Mais Denis FRAJERMAN a réalisé au fil des ans d’autres compositions, inspirées par l’univers post-exotique, prophétique et incantatoire de l’écrivain. Dorénavant, il est possible de découvrir (ou de redécouvrir) tout le corpus musical que FRZAJERMAN a consacré à l’œuvre de VOLODINE avec Variations Volodine, un livre-objet unique en son genre qui contient 6 CD enregistrés par Denis FRAJERMAN et un recueil de textes d’Antoine VOLODINE de 64 pages bilingue (français/anglais). Outre les deux albums déjà cités, on trouvera donc dans ce coffret d’autres albums de FRAJERMAN inédits en CD : Quatre poèmes en prose d’Antoine Volodine enregistrés en 1994 pour France Culture, Des anges mineurs, oratorio post-exotique (2000), Terminus radieux, Cantopéra, (2015) et Les Fugues Volodine (2020). Entre ambient hypnotique et minimalisme de chambre en passant par des réminiscences médiévalistes et des paysages électroniques, les bandes-son labyrinthiques et buissonnières de FRAJERMAN déploient une vaste palette électro-acoustiques bourrées de boucles répétitives, manifestations animalières, bruitages naturels, et autres apparitions extra-terrestres au caractère envoûtant.

Rythmes Croisés – Jan 2022 (link)

Imaginez qu’on puisse entendre un livre : non pas sa langue, car il suffirait pour cela de le lire, mais son paysage – ses textures, son relief, ce que le langage figure comme potentialité. Imaginez que l’arrière-fond imaginaire qui bruisse dans l’outremonde du livre soudainement se lève et s’incarne ; que quelque chose de la fiction puisse prendre vie, une vie nouvelle. Fermez les yeux, rentrez dans la longue traversée du bardo de ces Variations Volodine.

Derrière ce nom se cache une ambitieuse publication de La Volte, six CDs (physiques et numériques) et un livre de poèmes qui retracent l’œuvre d’une vie : l’adaptation musicale du post-exotisme, ni plus ni moins. De Quatre poèmes en prose d’Antoine Volodine (1994) jusqu’aux Fugues Volodine (2020), c’est un compagnonnage au long cours qu’il nous est permis d’explorer, compagnonnage que le post-exotisme, littératures des poubelles, des prisons, des ghettos, ne cesse de figurer dans ses fictions d’après la catastrophe. La rencontre de Denis Frajerman avec la littérature d’Antoine Volodine a permis au musicien d’investir l’espace onirique de l’œuvre post-exotique et de la déployer en six œuvres étranges, fascinantes, dont les Variations Volodine permettent de mesurer l’ampleur. Lisbonne Dernière Marge, Des Anges Mineurs, Frères Sorcières, Terminus Radieux s’élèvent soudainement comme le monstre de Frankenstein, électrisés d’un flux nouveau, et se mettent à nous parler dans un langage qui ajoute au post-exotique une dimension nouvelle. Il est justement intéressant de voir comment ces Variations Volodine se glissent dans les interstices des textes pour parvenir à les saisir, à les habiter par les marges.

Difficile, bien entendu, de prétendre circonscrire dans des phrases ce qui dépasse le simple langage : on ne peut qu’inviter à aller écouter ces œuvres étranges, indispensables prolongements de la littérature post-exotique. Car il s’agit bien là d’une œuvre post-exotique en elle-même, puisque la littérature de Volodine y est directement présente : elle est lue, chantée, déclamée, murmurée. À cette littérature s’ajoute la musique de Denis Frajerman qui s’empare de cet univers imaginaire peuplé de cauchemars fantastiques : il y tricote lentement la toile étrange dans lequel se prennent les rêves post-exotiques, un instant immobilisés dans la stupeur des sons. On y voit un Antoine Volodine qui n’hésite pas à mettre la main dans le cambouis, ou plutôt devrait-on dire dans la suie de l’espace noir : il est bien entendu, par sa littérature, l’ombre portée qui habite le travail de Denis Frajerman, mais il est là aussi dans les coulisses, lisant, récitant, murmurant, paré de tous les masques et miasmes et marasmes que le post-exotique permet, tantôt grave et solennel, tantôt contrefaisant un accent russe, tantôt neutre comme le plus terrible des inquisiteurs. Souvenons-nous de certains livres post-exotiques comme Bardo or not Bardo : quand nous mourrons, quand nous préparons à affronter l’errance de l’espace noir d’après la mort, il est bon qu’une voix amie nous guide et nous accompagne, quand bien même cette voix amie nous murmurerait des slogans étranges. Quoi de mieux, dès lors, que les Variations Volodine pour nous accompagner dans le cauchemar du monde bientôt apocalypsé qui est notre réalité actuelle ?

Qu’on se rassure, néanmoins, c’est bien du post-exotisme qu’il s’agit, et sa force étrange et unique se trouve magnifiée par l’univers sonore de Denis Frajerman, qui crée un effet lancinant, hypnotique, mesmérisant, composant de secrètes litanies venues d’un univers de rébellion et de combat. Ce sont des longues nappes chamaniques, des plages sonores incantatoires qui découlent de cette collaboration, qui figure le combat inhérent du post-exotisme ; cette confrontation-théâtre d’un affrontement imaginaire et sorcier – entre quoi ? on ne sait pas mais on sent que ça grince, ça racle, ça rauque, à la manière des ourses volodiniennes perdues sur les banquises irradiées des rêves. L’univers musical de Frajerman n’hésite pas à la dissonance, à la saturation, mais ne s’y limite pas ; une étrange beauté s’y fait jour, obsédante, singulière, qui permet que la rencontre avec le post-exotisme se déroule dans une bienheureuse noce. La musique de Denis Frajerman donne notamment corps aux injonctions étranges de la poésie-litanie des slogans, dont la force se déploie lentement, surement, plongeant l’auditeur-lecteur dans une traversée apnéique qu’il n’affronte pas seul : on respire à côté de lui. L’univers de Volodine s’y trouve magnifiée, bruissant et frémissant de textures déployées, procédant par boucles, reprises, mantras.

Le post-exotique se construit sur une familiarité d’usage qui permet sa plus grande compréhension au fur et à mesure qu’on explore cette œuvre-araignée ; mais elle se nourrit aussi d’une complicité, que les fictions mettent en scène, mais qui est aussi un mode de fonctionnement du post-exotisme lui-même, qui, par son étrangeté et sa radicalité, suppose une bénévolence de lecteurs entre lecteurs. Le post-exotisme est un partage, il se murmure dans le creux des oreilles, il passe de main en main entre lecteurs complices qui défendent et hissent haut le drapeau noir de son insurrection. « On avait là des proses enrichies de musiques qui éclairaient des envers et des avants dont même les insanes les plus insanes ne devaient pas avoir connaissance », écrit Volodine dans l’un des poèmes du recueil. Que les lecteurs post-exotiques soient insanes, c’est un peu vrai ; mais ils le sont par la fraternité créée par cette œuvre elle-même fraternelle ; ils sont insanes parce qu’ils sont frères et sœurs de misère ; ils lisent et relisent et partagent, et bientôt aussi ils écouteront le post-exotisme.

Comment disait Lutz Bassman, déjà ? « Seuls ceux que j’aime, écoutez ! »

Yann Etienne, Diacritique – Feb 2022 (link)

Le livre traînait dans les déjections et le sang : il fallut, pour l’ouvrir, décoller au racloir la paille qui avait durci et coagulé le long des pages.” Ainsi commence Biographie comparée de Jorian Murgrave, le premier ouvrage publié par Antoine Volodine aux éditions Denoël, au sein de la mythique collection Présence du Futur en 1985. Ce pourrait presque être un descriptif du visuel de ce coffret Variations Volodine aux beaux motifs de minéraux cristallisés ou de lichens, conçu par Laure Afchain d’après une photographie d’Andrew Martin. Quelques éléments de l’univers d’Antoine Volodine sont posés, le labyrinthe, les matières minérales et biologiques, florales et humaines, les fluides putréfiés, une géologie à l’échelle d’un livre. Dans Biographie comparée de Jorian Murgrave, il y a surtout les textes, des manuscrits, des lettres, qu’il est interdit de diffuser. Jorian Murgrave est un mystère, vénéré et pourchassé. Ses biographes sont persécutés. L’ouvrage annonce quelques lignes plus loin une situation récurrente dans l’oeuvre de Antoine Volodine : “Les lieux sont méconnaissables, l’époque est floue et innommable.”

C’est une porte d’entrée dans le labyrinthe, parmi tant d’autres. Une fois entré, on ne cherche plus à en sortir. Denis Frajerman doit sa découverte d’Antoine Volodine à son comparse Jacques Barbéri du collectif Palo Alto, dans lequel jouaient également Philippe Masson et Philippe Perreaudin. Saxophoniste, Jacques Barbéri est lui aussi auteur d’ouvrages dans la collection Présence du Futur (Kosmokrim en 1985, Narcose en 1989…). Jacques Barbéri a lu à Denis Frajerman un extrait de Lisbonne dernière marge de Volodine (éditions de Minuit, 1990). Instantanément capté, Denis Frajerman poursuit sa découverte par d’autres ouvrages. Le tout l’inspire musicalement et il crée la pièce Le montreur de cochons, que Jacques Barbéri l’incite à envoyer à son grand inspirateur. Antoine Volodine est à son tour capté, il n’a jamais rien entendu qui corresponde aussi bien à son univers. Le lien direct est établi. Il n’est pas exagéré d’écrire que c’est la rencontre de deux grands créateurs de mondes. Ce coffret Variations Volodine est une anthologie de leurs collaborations en six disques et un livret de 64 pages, incluant seize textes en prose d’Antoine Volodine, pour certains inédits jusque-là.

Denis Frajerman et Antoine Volodine collaborent une première fois ensemble pour Quatre poèmes en prose dans le cadre de l’émission Claire de Nuit sur France Culture en 1994. Ces poèmes constituent la matière du premier CD de ce coffret. Antoine Volodine lit ses textes avec un fort accent. Il roule les r, ajoutant ainsi un autre niveau de fiction d’origine inconnue, accompagné par une musique faite de fanfares fragmentées, de bruissements et bruitages, de cordes et cris d’oiseaux.

Le second CD contient le premier album de Denis Frajerman, Les Suites Volodine, édité une première fois par Noise MuseuM en 1998. Il inclut Le montreur de cochons, inspiré de Lisbonne dernière marge, Un cloporte d’automne et Au loin une poutre, inspirés de Biographie comparée de Jorian Murgrave, et Incendie dans un cimetière chinois inspiré de Le port intérieur (éditions de Minuit, 1995). Quelques musiciens présents sur les Quatre poèmes en prose interviennent également ici : Régis Codur (guitare), Eric Roger (cornet), Hervé Zénouda (percussions). Parrain de la première rencontre, Jacques Barbéri est présent sur la majorité des créations de ce coffret. Près de 25 ans après la première audition, Les Suites Volodine demeurent enivrantes par leurs formes cycliques, leurs ambiances tropicales intrigantes.
L’ouvrage d’Antoine Volodine Des anges mineurs, aux éditions du Seuil en 1999, est peut-être celui qui lui a fait franchir un nouveau palier dans sa reconnaissance auprès d’un public plus large. Sa forme particulière, des narrats, est mystérieuse encore, musicale même. Antoine Volodine l’annonçait en préambule : « J’appelle narrats de brèves pièces musicales dont la musique est la principale raison d’être, mais aussi où ceux que j’aime peuvent se reposer un instant, avant de reprendre leur progression vers le rien. » D’emblée, les noms en titre de chacun des narrats ont leur musicalité : Clara Güdzül, Wulf Ogoïne, Khirili Gompo… Les pièces du troisième CD, Des anges mineurs, oratorio post-exotique, ont a été créées une première fois en 2000. Le régleur de larmes commence par une lecture par l’auteur du narrat “Enzo Mardirossian”. Les paysages sont toujours frappants, littéralement à couper le souffle face à la « pestilence des grands charniers ».

Le quatrième CD contient Vocifération cantopéra, produit par France Culture, dans le cadre de ses Ateliers de Création Radiophonique, et publié à l’origine par Le Cluricaun en 2004. Antoine Volodine s’est inspiré de sa traduction du russe de Slogans de Maria Soudaïva (éditions de l’Olivier), née en 1954, suicidée en 2003. Il aurait rencontrée Maria Soudaïva à Macau entre 1991 et 1994, avant ses premières publications. L’univers de Volodine a ceci d’intrigant, il s’amuse du travers de l’Occidental à toujours vouloir entretenir un culte des origines. L’essentialisme est l’un des principaux défauts de la philosophie occidentale. L’ouverture de Vocifération cantopéra nous transporte en un monde africaniste par ses rythmiques, et asiatique par ses instruments à vent. Dès lors qu’Antoine Volodine lit le long poème, la fiction fait sauter toutes les barrières. Il s’agit d’une suite d’injonctions étranges telles que « Sors de l’eau. Regarde la lune. Lave-toi. », « Avance jusqu’au seizième sanglot. » ou « En cas de malheur, ne te réincarne pas en Maria Oualpa. » La musique épaissit le magistral mystère.

La forme musicale de Terminus radieux, cantopéra (CD5) est resserrée autour de cordes et de voix, le violoncelle de Carole Deville, les guitares de Denis Frajerman, les mezzo-soprano Émilie Nicot et Justine Schaeffer. Cette mise en musique apparaît nécessairement plus aérienne, mais pas moins marquée par la fiction des désastres industrielles et des chamanes imaginaires. Un personnage masqué de cuire et de cuivre ôte sa tête d’oiseau terrible et s’adresse à un scribe mort. Tant qu’il s’agit de fiction, il y a de la beauté dans l’horreur, la torture et la douleur recèlent une puissance esthétique.

Les Fugues Volodine de 2020, sur le sixième CD, sont la création d’un trio composé de Anja Frajerman (claviers), Denis Frajerman (claviers, basse, percussions, boîtes à rythmes…), Laurent Rochelle (saxophones soprano, clarinettes basses, arrangements), auxquels s’ajoutent plusieurs sources vocales, dont la voix de Géraldine Ros, des poèmes Poular, chinois et Yiddish. Plus aériennes encore, Les Fugues Volodine touchent pratiquement à un esprit psychédélique.

L’univers d’Antoine Volodine évoque souvent les steppes de Sibérie, terre-mère du chamanisme. Des éléments éparses laissent supposer une époque post-apocalyptique, après une contamination industrielle ou la chute d’un régime totalitaire, plutôt d’Europe de l’Est étant donné la consonance des noms propres et parfois des références explicites au communisme. N’en déplaise à Mircea Eliade, il y a autant de chamanismes que de chamanes. Pour commencer à comprendre le chamanisme, il faudrait même limiter l’emploi du mot à sa terre-mère déjà très étendue et disparate de Sibérie. Dans le réel du XXe siècle, les pratiques chamaniques y ont effectivement été brimées par le régime soviétique et les chamanes persécutés. L’univers d’Antoine Volodine s’inspire aussi explicitement au bouddhisme tibétain (brimé par la Chine dans le réel celui-là). Le livret de ce coffret propose une brève définition du post-exotisme : « L’auteur a conçu un courant littéraire, le post-exotisme, inspiré par le bardo – mot tibétain désignant les intervalles de vie -, dans lequel s’entremêle rêves et réalités, réflexions sur la solitude, la folie, la fidélité amoureuse, l’échec des luttes révolutionnaires. »

Les musiques de Denis Frajerman ont cette même faculté de déjouer toutes tentatives de situations géographiques, par l’utilisation de sonorités tirées de sa propre collection d’instruments du monde, employés de manière intuitive. Le livret indique que, compositeur pour des créations radiophoniques, pour le théâtre et pour la danse, Denis Frajerman partage avec Antoine Volodine « son goût pour les atmosphères planantes et ensorcelantes. » Nous tenons là l’une des grandes questions des XXe et XXIe siècles, à savoir si le chaos engendré par la toute puissance économique, une idéologie en elle-même extrêmement pernicieuse, et le recul des grandes religions ont achevé le désenchantement du monde, une formule inventée par Max Weber. En théorie, ce désenchantement est l’abandon de toutes formes de magie et de rituels. Le post-exotisme peut être lu comme une réponse : il recycle l’enchantement dans le nouveau chaos.

Eric Deshayes – Neospheres (link)