Agitation Frite 2. Témoignages De L’Underground Français
380 Page Book
Lenka Lente – Avril 2018 (link)
Dans ce deuxième des trois volumes qui constituent agitation frite, saisissant panorama de l’underground musical français, philippe robert documente les pratiques de groupes tels que Fille Qui Mousse, Ilitch, Ruth, Étant Donnés, Hellebore, Toupidek Limonade, Sister Iodine, Etron Fou Leloublan, Schizotrope, Orbes, Sleaze Art, Ankh, Etc. Il y est aussi question du journal Le Parapluie, de Bazooka, Henri Chopin, Isidore Isou, des labels Tago Mago, Sonoris, Rectangle, In-Poly-Sons, A Bruit Secret…
Entretiens avec Gilles Yéprémian, Henri-Jean Enu, Ferdinand Richard, Emmanuelle Parrenin, Thierry Müller, Raymond Boni, Pascal Bussy, Pierre Barouh, Fabrice Baty, Denis Tagu, Véronique Vilhet, Pascal Comelade, Henri Roger, Romain Slocombe, Richard Pinhas, Maurice G. Dantec, Lucien Suel, Michel Doneda, Marc Hurtado, Michel Henritzi, Arnaud Labelle-Rojoux, Frédéric Le Junter, Kasper T. Toeplitz, Frank Laplaine, Noël Akchoté, Lionel Fernandez, Emmanuel Holterbach, Erik M, Frédéric Acquaviva, David Fenech, Quentin Rollet, Didier Lasserre, François Ibanez, Grégory Henrion, Arnaud Maguet.
Reviews :
L’an passé je saluai le premier volume de ces témoignages de l’undergroud français recueillis par Philippe Robert. Le second volume justifie d’autant mieux ce sous titre d’Agitation frite que j’ignorais nombreux de ces nouveaux protagonistes convoqués par le journaliste dont les questions font toujours mouche. Ainsi, si cette fois je connaissais Gilles Yepremian depuis le lycée, Henri-Jean Enu (Fille Qui Mousse) depuis Le Parapluie, Raymond Boni qui figure sur Urgent Meeting, Pascal Bussy qui chroniquait déjà Un Drame Musical Instantané au début des années 80, Pascal Comelade qui exposa en même temps que Nabaz’mob aux Musée des Arts Décoratifs, Richard Pinhas avec qui j’avais joué au Gibus et au Bus Palladium au sein de Lard Free, ainsi que Ferdinand Richard (Étron Fou Leloublan), Emmanuelle Parrenin, Pierre Barouh, Henri Roger, Romain Slocombe (Bazooka), Maurice G. Dantec, Michel Doneda, Marc Hurtado (Étant Donnés), Frédéric Le Junter, Kasper T. Toeplitz, Noël Akchoté, eRikM, David Fenech, Quentin Rollet, Didier Lasserre… J’ignorais Thierry Müller, Fabrice Baty, Denis Tagu, Véronique Vilhet, Lucien Suel, Michel Henritzi, Arnaud Labelle-Rojoux, Frank Laplaine, Lionel Fernandez, Emmanuel Holterbach, Frédéric Acquaviva, Francis Ibanez, Grégory Henrion, Arnaud Maguet. L’underground est grand, Philippe Robert serait-il son prophète ?
Il n’y a pas de meilleure source que de donner la parole aux protagonistes de cette saga protéiforme. Les entretiens révèlent des personnalités hors normes, même si un fil bleu blanc rouge révèle des noms communs. À retrouver souvent ceux d’Isidore Isou, Claude Pélieu, Captain Beefheart, Robert Wyatt, Christian Marclay, Otomo Yoshihide, Nurse With Wound, Sonic Youth, Phil Niblock, Eliane Radigue (aucun ne risque de figurer dans l’ouvrage), on peut se demander si cette toile d’araignée est un rhizome ou un monde parallèle où les plus indépendants ne feront tout de même jamais partie de la famille ! Les renvois d’ascenseur se sont produits il y a fort longtemps à l’instigation des journalistes et des programmateurs, forgeant la légende à répéter ce qui se disait alors dans la presse tant généraliste que spécialisée. Tout n’est forcément que storytelling, comme le montre si bien Shlomo Sand dans son livre Crépuscule de l’Histoire. Malgré cette conformité qui en vaut une autre, l’éclatement de ces marges est explicite. Tous ces artistes, échappant au business qui ne cherche toujours que la rentabilité, ont choisi l’authenticité et partagent ici leur passion. Certaines de leurs inventions ont été récupérées par les majors à une époque où celles-ci cherchaient encore la nouveauté, d’où une nostalgie suscitant l’engouement actuel pour les revivals. Qui aujourd’hui incarnerait l’underground ? A-t-il été remplacé par des chapelles communautaires ou la sono mondiale via les réseaux sociaux absorberait-elle toute démarche individuelle ?
L’année prochaine, le volume 3 de cette passionnante encyclopédie sera constitué de nouveaux articles et interviews, d’une discographie de 1951 à 2018 et d’une sélection commentée de plus de 400 disques rares (un disque par groupe, pas plus) avec reproductions des pochettes. Ou : du rock psychédélique au free jazz, de la poésie sonore à l’électroacoustique, de l’acid folk au Rock In Opposition, de la library music à la “chanson expérimentale”, du punk-rock à l’indus, des outsiders à l’improvisation libre, du hardcore au post-rock, du noise au black metal… On en redemande !
Jean Jacques Birgé – Mediapart (link)
Tout en grandissant aux côtés de la lente agonie de la presse magazine et de ses plumes, le grand internet nous offrait les clés de la bibliothèque d’Alexandrie grâce à Napster, Soulseek et Mutant Sounds. Une autre manière d’élargir la palette musicale pour le curieux, après avoir succombé aux écrits de stylistes érudits ou férus de liberté tels que Richard Robert, Gilles Tordjman et Philippe Robert, on se laissait happé par l’ivresse de découvrir des centaines de disques inconnus aux limites toujours repoussées. L’obésité des disques durs était indécente mais cette boulimie était salvatrice. On retrouvait cet esprit croisé à l’époque dans le mensuel suisse Vibrations, avec la mise en avant des Disques du Soleil et de l’Acier, Spalax, Sun Ra ou Saravah, soit l’éloge permanent du troubadour libre et sauvage qui fait le pont entre l’artisan et le fou. Pascal Comelade, l’art brut de Gaston Chaissac, les fanzines ou Guattari voilà les références de ces plumes amies. La haine du marketing était palpable entre les lignes et les renvois d’ascenseurs proscrits. Grâce à tous ces oubliés un peu géniaux, on pense sincèrement avoir pris le bon chemin, cette curiosité à la destination inconnue, une tangente musicale qui nous fait préférer les pas de côtés aux canons du moment. Cette notion de passeur bourlingueur, qui prendrait naissance avec les figures de Daniel et Jacqueline Caux ne baisse pas les armes et s’incarne admirablement avec le second volume d’Agitation Frite, signé par Philippe Robert, l’homme derrière le blog Merzbo Derek, puits de science weirdo, Wikipéman des scènes bis, qui vient de paraitre chez Lenka Lente. Derrière ces rares entretiens (David Fenech, Romain Slocombe, Quentin Rollet, Richard Pinhas, etc) on retrouve ici cet esprit post-Larzac, post-situ, un peu punk, surtout libre de toute contrainte autre que de faire le plus beau boucan du monde. Ça valait bien un entretien.
Il est incroyable de constater à la lecture de tes deux volumes d’Agitation Frite, la richesse et la profusion des musiques obliques en France depuis disons la fin des années soixante. C’est d’autant plus choquant quand on te martèle que Claude François c’était la modernité…
Ah bon, on martèle ça ? La modernité ? (Rires) Encore que ? Certains des protagonistes d’Agitation Frite ont accompagné Claude François, ne l’oublions pas ! Par exemple, Bernard Vitet (Un Drame Musical Instantané, quand même) ne démissionne de l’orchestre de Claude François qu’après Mai 68 et la prise de conscience allant avec. Pourtant, il côtoyait déjà le très engagé François Tusques depuis quelques années. Dans l’underground, la tentation pouvait être grande de courir les cachets : du coup, c’était baloche et accompagnements des chanteurs de variétés de l’époque, qui parfois payaient bien. Concernant Claude François, sais-tu qu’il a commencé par être batteur, qu’il a joué avec Barney Wilen ? Sur la toile, dans un extrait de documentaire intitulé, je crois, « Jacques Thollot vient d’une autre planète », on voit Claude François à la batterie puis aux congas, doublé par un deuxième batteur, accompagner un Barney Wilen bien free ! Barney, interviewé, ironise : « À la batterie, tu n’avais pas beaucoup de technique, mais pour la chanson, je t’avais prédit un brillant avenir ! » Le troisième volume d’Agitation Frite, pour moitié textes et non plus interviews, proposera une sorte de TOP 500 commenté (un disque par groupe ou musicien, pas plus) de ce qui s’est passé d’aventureux en France, histoire de relayer cette profusion que tu évoques. Les premières références y remonteront aux années 1950 : je pense aux poètes sonores et aux 45 tours de Maurice Lemaître et Jean-Louis Brau. Donc oui, il y a eu ÉNORMÉMENT de choses, que souvent les anglo-saxons connaissent bien mieux que nous. En dehors des labels Souffle Continu Records, Cameleon Records, Born Bad, Monster Melodies, les rééditions viennent souvent de l’étranger. Qui repêche Alain Meunier ? Wah Wah en Espagne. Qui s’intéresse au label Kiosque d’Orphée ? Les Guerssen, Strawberry Rain. Qui réédite les poètes sonores français ? Alga Marghen en Italie, et ainsi de suite…
Et puis, les musiques obliques, ce n’est pas que Red Noise, Heldon, Maajun, Komintern, Barricade, Etron Fou Leloublan, comme on a souvent tendance à le croire… Ce sont aussi les « anti-yéyés », le free jazz, l’électroacoustique, l’acid folk, l’illustration sonore, le punk-rock, le post-punk, l’indus, l’improvisation libre, le hardcore, les outsiders, le post-rock, le black metal, le noise… Par exemple, la scène industrielle est très riche : Denier du Culte, Lieutenant Caramel, La Sonorité Jaune, Phaeton Dernière Danse, Entre Vifs, A.I.Z., Vivenza, Toy Bizarre, Manon Anne Gillis, Pacific 231, c’est quelque chose ! Des années 1950 à aujourd’hui, ça finit par faire beaucoup de monde ! Donc oui, il y a là une grande richesse, c’est le moins qu’on puisse dire ! Je suis même étonné que, dans ses grandes largeurs, elle n’ait pas été évoquée plus tôt (en livre s’entend). Il y a bien le bouquin de Dominique Grimaud et Éric Deshayes, voire celui de Serge Loupien qui sorti bientôt. Sauf qu’on s’y arrête souvent avec l’arrivée de Métal Urbain. Alors que l’underground s’est rarement aussi bien porté qu’aujourd’hui. Mais voilà, Delphine Dora et Jean-Baptiste Favory sortent leurs derniers disques aux États-Unis, chez Feeding Tube.
Sans être nostalgique j’ai beaucoup de respect pour ces passeurs tels que Daniel Caux, cette figure quasi-paternelle qui prône la liberté absolue était vraiment vivifiante quand tous les autres s’alignent avec le flingue sur la tempe et te vendent des disques comme des paquets de lessive. Quelqu’un comme Richard Robert me donnait clairement envie de voyager, tu te sens naviguer dans les mêmes eaux?!
À l’époque, Daniel et Jacqueline Caux n’étaient pas isolés. Ils furent certes les premiers, par le biais du magazine L’Art Vivant, comme en organisant les Nuits de la Fondation Maeght, à présenter au public français et à interviewer La Monte Young, Terry Riley, Milford Graves ou Albert Ayler. Sauf qu’en plus d’eux, pour ce qui concerne les pionniers, l’on pourrait également citer Paul Alessandrini dans Rock & Folk, Méchamment Rock dans Charlie Hebdo, Philippe Carles et Gérard Rouy dans Jazz Magazine, Laurent Goddet et Jean Buzelin dans Jazz Hot, Pascal Bussy dans Atem… Tous ces gens, ces défricheurs à qui je dédie d’ailleurs mes bouquins, m’ont donné envie d’écouter les disques et les musiciens dont ils parlaient, d’écrire aussi.
D’autres sont venus ensuite, oui. Dans Best, Les Inrockuptibles canal historique, Magic… Richard Robert fait partie de ceux-là, je l’ai beaucoup lu, au fil de l’actualité. Gilles Tordjman et Joseph Ghosn aussi. Est-ce qu’on navigue dans les mêmes eaux ? Je n’en sais rien, nous avons pour sûr des goûts en commun, vraisemblablement des divergences aussi. Des trois, c’est probablement de Joseph dont je me sens le plus proche. Par contre, Daniel Caux est un modèle pour moi : de bon goût et d’intégrité. Le Silence, les couleurs du prisme et la mécanique du temps qui passe, voilà un ouvrage essentiel. Sa proximité avec les artistes qu’il défendait est également une source d’inspiration. Daniel Caux a tant fait ! Philippe Carles serait pour moi une autre figure quasi paternelle (sourire). Même les anglo-saxons nous les envient !
Quel regard portes tu sur la musique après avoir acheté des milliers de disques et de cassettes depuis tant d’années? Cette curiosité « s’entretient-elle » facilement?
Depuis mes premiers 45 tours à moi à l’âge de 12 ans (Creedence Clearwater Revival, Led Zeppelin, The Doors), je n’ai pas cessé d’accumuler les disques, tous les jours, depuis des décennies : je ne m’en suis jamais lassé ! Cinéma, littérature… La curiosité est vitale. Sur le sujet, c’est-à-dire « acheter des milliers de disques aujourd’hui encore », les bouquins de John Corbett et Mats Gustafsson sont marrants, instructifs et assez justes. Dans celui de Mats, Paal Nilssen-Love termine son entretien en racontant assez longuement une soirée qu’il a passé à la maison, à Saint-Jeannet, et qui aurait révolutionné, dit-il, sa manière de ranger ses disques, et donc changé sa vie ! J’ai été scotché de lire ça ! La vie, les disques… Comment entretenir sa curiosité ? Je n’en sais rien, je n’y pense pas.
Il parait évident aujourd’hui que le public « écoute de tout », certaines niches ont dépassé leur cadre et font accepter qu’un DJ comme Vladimir Ivkovic puisse passer Coil sur un dancefloor. On vit une époque intéressante où la porosité est partout, face à l’abêtissement, la résistance contre le nivellement par le bas te semble vivace?
J’ignore si ça résiste beaucoup. Et beaucoup n’est probablement pas encore assez. Toutefois, tant qu’on envisage musique et dancefloor comme une expérience, tout me va ! De là à dire que tout le monde écoute de tout, je ne sais pas. Le grand public écoute-t-il du free jazz ? Du noise ? Voilà encore des musiques difficilement récupérables, alors qu’elles devraient pourtant être facilement assimilables à qui se laisse aller sans préjugés. Résister au nivellement par le bas est une nécessité de chaque instant, non ?
Tu habites loin de Paris et de ses turpitudes, c’est important de combiner son jardin et ses passions intellectuelles hors de « là où ça se passe »?
(Rires) Que les choses soient claires, je n’habite pas hors de là où ça se passe. Très sincèrement, j’ai même l’impression d’avoir le privilège de vivre là où BEAUCOUP de choses se sont passées et se passent encore. Pour preuve, la seule et unique interprétation en public de « A Love Supreme » de John Coltrane, ce n’est pas à Paris, c’est à Juan-les-Pins ! (Sourire) Les quasi derniers concerts d’Albert Ayler, les plus beaux, se déroulent à Saint-Paul de Vence, de même que les premières performances françaises de La Monte Young à la même époque. Les Nouveaux Réalistes, Chagall, Matisse, Ben, Fluxus, Jacques Rozier, Mario Mercier, Jean Dubuffet… Je ne vais pas te faire l’histoire culturelle de la Côte d’Azur, bien que j’ai participé, en duo avec l’ami Emmanuel Holterbach (interviewé dans le deuxième volume d’Agitation Frite), à un épais volume sur le sujet publié par Ringier. Mais côté musique, on a été gâté je crois. Ce qui m’a permis de voir Sun Ra, Anthony Braxton, Cecil Taylor, Ornette Coleman sans avoir à monter à la Capitale. Aussi de voir des films peu sinon jamais projetés à Paris, encore récemment, tel le documentaire exceptionnel de Jean-Michel Meurice consacré à Albert Ayler, avec un des concerts de la Fondation Maeght et l’interview du même Ayler par Daniel et Jacqueline Caux. Ah, Soft Machine et Jean-Jacques Lebel à Saint-Tropez… Le Festival de Valbonne avec Barricade et Crouille Marteau… Igor Wakhevitch est d’ailleurs du coin ; la Horde Catalytique Pour La Fin est de Grasse… Le premier concert de Merzbow en France, c’est à Nice ; de même COUM Transmissions est passé ici à ses débuts !Par contre je précise que je n’ai vu ni Ayler, ni Coltrane, ni Soft Machine au cours de ces prestations historiques : pour ça, je suis malheureusement né cinq ans trop tard.
Tu disais, loin de Paris et de ses turpitudes ? Le bleu du ciel azuréen, la Méditerranée, je t’assure, c’est quelque chose dont il est difficile de se passer. Jardin et passions intellectuelles ou pas.
On a assisté il y a peu au concert d’Èlg aux Instants Chavirés avec une petite équipe de guests qui rendait la fête encore plus belle, comme un Bel Canto Orchestra remixé par le GRM. On pensait fortement à ton livre, à cette envie d’ouvrir les fenêtres et d’aller voir ailleurs…
Merci, cela me touche (sourire). J’aime beaucoup Èlg, Opéra Mort, Reines d’Angleterre. Je n’ai pas encore écouté Vu du dôme… El-G sera représenté dans Agitation Frite 3, évidemment. De même que France Sauvage, Popol Gluant, Cobra Matal, Z.B. AIDS, Mesa Of The Lost Women, Micro_Penis, Sun Stabbed, La Morte Young, pFeM, Cathy Heyden, Theoreme, Aluk Todolo, Femme, Bader Motor, France, Verdouble, Sourdure, Chausse-Trappe, Natural Snow Buildings… Soit la relève de l’underground d’hier, quoique puissent en penser certains des acteurs d’autrefois dans Agitation Frite 2. Par exemple, il y aura un très bel entretien avec Delphine Dora. Un autre avec les moins connus Pepe Wismeer, pour ce qui est d’ores et déjà annoncé sous forme d’extraits sur le blog Merzbo-Derek…
oedipe purple (link)